Politique

Le scrutin d'Outre-Mer

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Dans son délire masochiste « L'express » du 7 janvier, commentant les élections outre-mer, titre « Victoire des nationalistes ». Ce titre témoigne d'une double ignorance  et de l'Afrique noire et du déroulement du scrutin. Comment titrer ainsi quand, au contraire, un des faits les plus frappants est qu'aucun des élus n'a, à aucun moment, mis en cause l'appartenance des TOM à la République ?

En réalité, ce scrutin, dont le calme et la liberté ne sont contestés par personne, témoigne d'une orientation que, par commodité et faute d'une meilleure expression, nous qualifierons de « à gauche ». Le calme est attesté par un fait qui ne s'était jamais produit au Sénégal : une seule urne a été enlevée. D'ordinaire, les élections dans ce territoire étaient l'occasion d'émeutes, voire de tueries. Quant à la liberté du scrutin, l'absence d'élus « administratifs » dans certains territoires où ils sévissaient traditionnellement est frappante. On doit seulement regretter que, dans certaines régions, gouverneurs et commandants de cercle aient continué d'exercer une fâcheuse rétention à l'inscription sur les listes électorales.

Mais nous parlions d'une orientation « à gauche ». elle se manifeste moins par une certaine influence communiste, celle-ci se révélant, au contraire, pour le moment, très limitée, quoiqu'en ait écrit « Combat », que dans l'arrivée, dans plusieurs territoires, notamment à Madagascar, de personnalités non-conformistes, et d'ailleurs intéressantes. Le RAD progresse, mais il est faux de parler d'un recul des Indépendants d'outre-mer, car ce groupe a toutes chances de se reformer dans son nombre antérieur à l'Assemblée nationale, même si, actuellement, les statistiques lui sont défavorables. La SFIO continue de s'effacer de la carte africaine, même si l'étendue de ce territoire lui permet de s'accrocher par la suite quelques députés d'outre-mer fort étrangers à son idéologie. Il est d'ailleurs de plus en plus clair, et c'est un des sens du scrutin, que les Africains répugnent aux étiquettes métropolitaines.  De même que, malgré le désir fort intelligent des leaders RDA, ils boudent les élus européens. De tous ces faits, on doit déduire que si le mot « nationalisme » employé par « L'Express » prouve surtout que, dans ce journal, on ne sait pas très bien la différence entre l'Afrique du Nord et l'Afrique noire, du moins celle-ci prend de plus en plus conscience d'elle-même, et, dans le sein de la République, réclame une révolution. Il est certain que le scrutin du 2 janvier doit avoir comme conséquence l'extension à un très grand nombre de territoires d’institutions analogues à celles dont bénéficie le Togo, et l'impression d'un caractère fédéral à la République.

Cette évolution s'impose d'autant plus qu'en Afrique noire comme à Madagascar la consultation électorale du 2 janvier témoigne d'une certaine rancœur. Les autochtones ont eu le sentiment d'être frustrés de la loi électorale que l'Assemblée nationale avait votée, mais qui, grâce à « la navette » ressuscitée par M. Mendès-France, a été stoppée par le Conseil de la République. Or, cette loi augmentait  le nombre des députés d'outre-mer : plus encore, elle supprimait le double collège, là où ce système raciste subsiste encore, et elle instituait le suffrage universel. Or, si l'Africain noir est un homme sage, le sentiment d'une frustration peut toujours le porter à des extrémités.